Il y a quelque années, j'avais proposé à un producteur français une série concept dont chaque épisode comporterait deux parties distinctes, nécessitant chacun un casting différent mais traitant à chaque fois d'un même sujet (je ne préciserai pas plus parce que je n'ai pas abandonné ce projet – j'ajouterai juste que ce n'était pas une série policière). On m'avait répondu alors que ce serait trop demander au spectateur que de l'obliger à suivre deux castings différents et qu'il était impossible de traiter un concept de ce genre en cinquante minutes. La productrice en question n'avait probablement jamais entendu parler de Law and Order (traduite en "Français" sous le nom de New York District) qui présente dans chaque épisode de quarante minutes une enquête criminelle vue d'abord du point de vue des policiers puis de l'équipe du procureur de New-York. Il se trouve en passant que Law and Order est par ailleurs une des séries les plus rentables et les plus populaires de tous les temps... (Ce qui ne veut pas dire que la série que j'ai proposé aurait pu avoir le même destin, juste que l'argument ne tenait pas debout...)
Aaron Sorkin raconte dans son introduction à The West Wing Script book, que dans les années 70, un exécutif de CBS prétendait qu'une série télé ne pouvait marcher si elle comportait des héros juifs, divorcés, new-yorkais ou ayant des moustaches. Les décennies suivantes ayant amenées des séries aussi populaires que Seinfeld (Juif et New-Yorkais) Magnum (moustachu), ou NYPD Blues (dont le héros Sipowicz cumulait les handicaps d'être divorcé, moustachu et New Yorkais – sans parler du fait qu'il était alcoolique et raciste), Aaron Sorkin en conclut que "Les gens qui ne savent rien à rien ont tendance à inventer de fausses règles, les véritables règles étant beaucoup plus difficiles à apprendre".
Les règles inventées par les responsables de télévision et de production française sont encore plus nombreuses et contraignantes que celles édictée par l'exécutif de CBS. Des exemples ? En voici quelques uns, entendus ou qu'on m'a rapporté :
- il faut qu'un héros soit un exemple positif et qu'il ne soit jamais dans une situation qui pourrait être embarrassante. (Résumé par : "Imaginez que Julie Lescaut soit votre mère"...)
- il faut qu'un crime ait un motif passionnel pour être intéressant. Pas de serial killer. Pas de crimes politiques non plus...
- dans une bonne histoire, le caractère des personnages principaux n'évolue jamais (!).
- il ne faut pas parler des problèmes de corruption politique, ça ennuie le spectateur.
- le space opera, ça ne marchera jamais en France (même si c'est une série américaine).
- une histoire fantastique doit à la fin avoir une explication rationnelle. Autrement, on y croit pas.
- pour qu'on s'identifie à un personnage il faut qu'il soit vraisemblable (pas crédible, notez bien).
- les personnages doivent toujours avoir des réactions logiques ou rationnelles.
Et j'en passe...