Alors que j'allais rédiger un article sur l'importance de la structure, un doute m'a étreint. Et puis je me suis aperçu que je l'avais déjà écrit ici. Plutôt que de radoter, j'ai décider de vous renvoyer sur cette article d'il y a quatre ans sur lequel je n'ai pas grand chose à retrancher et de parler d'autre chose.
D'abord il m'est apparu récemment que beaucoup de gens croient encore que le scénario n'a qu'une importance relative dans le succès artistique d'un film. Le problème, c'est que ça fait vingt ans que j'entends ça et que, pourtant, personne n'a pu me donner un seul exemple de chef d'œuvre du cinéma (je parle de chefs d'œuvre reconnus par les vrais gens qui aiment et font du cinéma pas les trucs irregardables que les critiques tentent de nous imposer comme des chefs d'œuvre juste parce qu'il aiment l'idée d'être les seuls à les comprendre - que ce soit vrai ou pas) qui ne soit pas à l'origine un excellent scénario (selon les standards de la profession).
La meilleure mise en scène du monde ne sauve pas un scénario médiocre (voir Indiana Jones and The Kingdom of the Crystal Skull parmi de nombreux exemples). En même si une mise en scène médiocre ou inégale peut gâcher un excellent scénario, c'est loin dêtre toujours le cas (regardez du côté de Christopher Nolan, et particulièrement de ses scènes d'actions foutraques, ce qui n'empêche pas que les films ont eu le succès public et critique que l'on sait…). Je ne cherche pas à diminuer l'importance de la mise en scène dans une œuvre cinématographique, mais bien à réhabiliter l'importance du scénario. En France, il existe toujours des professionnels qui croient que n'importe qui peut écrire un scénario et qu'un scénario mal écrit peut être rattrapé à la mise en scène. C'est faux. Oubliez ça, cela n'arrivera pas. Si un scénario est médiocre, le résultat filmé le sera aussi. Personne, pas même Hitchcock, ne peut sauver un film de la médiocrité de son scénario. Tout au plus est-il possible d'y mettre quelques moments de mise en scène appréciables mais qui ne sauveront pas le film de l'ennui. Si vous n'êtes pas encore convaincu, regardez l'Etau (Topaz en V.O.).
Ce qu'on oublie souvent lorsqu'on parle de scénario c'est que le scénario est :
1° un art évolutif, qui a une histoire, des innovations techniques, une modernité et un classicisme. Connaître le cinéma sans connaître l'évolution du scénario ce serait un peu comme connaître l'histoire littéraire mais ne pas s'intéresser au roman, seulement à la poésie et au théâtre. Par exemple en France, on croit encore qu'un scénario ne doit parler que de ce que l'on voit, là où les anglo-saxons ont depuis longtemps compris que pour donner au réalisateur et au comédien envie de travailler sur le script, il faut souvent être évocateur.
2° un art visuel, (comme le roman d'ailleurs, ainsi que nous l'a enseigné R-L Stevenson). Une bonne partie des éléments visuels de classiques du cinéma (je ne cite que des exemples écrits par des scénaristes différents des réalisateurs) furent l'idée d'un scénariste, même si ces idées furent naturellement attribués au réalisateur par une critique qui n'y connaissait rien - et qui oubliait que la politique de nombreux producteurs hollywoodiens est généralement de répéter aux réalisateur qui veulent s'écarter du scénario : "Shoot the Script" "tourne le scénario". Deux exemples au hasard :
• l'aspect et les attributs de la créature d'Alien ainsi que la décision d'engager Giger pour la représenter vient de Dan O'Bannon, non de Ridley Scott.
• l'idée purement visuelle (et à toujours considérée par beaucoup comme une idée géniale de McTiernan) de la vision thermique du Predator est présente dès l'excellent scénario des frère Thomas, avant même l'arrivée de McTiernan sur le projet. Pareil avec la scène où Dutch plonge dans la boue pour se préparer à combattre le Predator...
Ridley Scott et McTiernan sont d'immenses réalisateurs, ne nous y trompons pas, parce qu'ils maîtrisent le découpage, la direction d'acteur, et l'ensemble des techniques de mise en scène, et les deux films ciéts n'auraient pas été les chefs d'œuvres qu'ils sont sans leur apport, mais cependant, ces idées là, visuelles et emblématiques pourtant, ne sont pas les leurs, mais viennent des scénaristes. Je me restreint à ces deux idées là, mais vous pouvez y ajouter la plupart des plans d'ouverture du cinéma américains. Il est très rare en effet que le scénariste n'ait pas pensé l'image d'ouverture et ne l'ait pas décrite en détail dans son scénario.
3° un art littéraire. On pourrait en douter. Mais en fait un scénario peut très bien être lu indépendamment du film produit, comme le fait remarquer Stephen King dans son introduction à La Tempête du siècle. C'est une expérience intéressante, et tout un chacun devrait essayer un jour. Il y aurait beaucoup à dire là dessus. Je rêve parfois qu'un réalisateur de talent reprenne tel scénario gâché par un tacheron et au lieu de commander un remake le refasse tel quel, comme il faut, cette fois… Ça paraîtrait expérimental, alors qu'en réalité, c'est naturel (on le fait bien pour le théâtre)… Et ce serait pédagogique…
Et, pour revenir à Hitchcock, rappelons qu'il considérait lui-même qu'un "film est fini à 90% lorsqu'il est écrit"…