J’ai l’impression que si Les Aventuriers de l’Arche Perdue sortait aujourd’hui, on entendrait que que le film ne se prend pas au sérieux en raison des scènes où Indiana Jones panique à cause du serpent dans l’avion en ponctuation de l’ouverture héroïque, ou lorsqu’il fait le douillet et s’endort devant Marion, ou qu’il descend le big bad avec ses sabres, ou qu’il met une chemise trop petite (sans parler des clichés qu’on attribuerait au film ou des accusations que l’histoire est trop « classique » – ce qui est un peu l’argument de quelqu’un qui n’en a pas, parce que toute histoire pulp traite des tropes déjà abordés, sinon ce n’est pas du pulp). On entendrait que le personnage est ridiculisé, que l'humour désamorce l'action, et toutes sortes de fadaises.
Le ton de Marvel en général me semble exactement remplir un vide grandissant dans le cinéma populaire depuis la fin des années 90 (suite aux excès sur ce point – genre Schumacher et les jeux de mots pourris sur la franchise Batman), où la solennité est trop souvent prise pour de la profondeur. Je n’attends pas de tous les films qu’il y ait des gags et de l’humour dedans, ce n’est pas toujours adéquat, mais sur un film d’aventure pulp (et Guardian of the Galaxie est exactement ça), juste, il en faut.
Et on remarquera que cette place de l’humour ne s’oppose aucunement à la dramaturgie. La dramaturgie consiste à savoir mettre en place les conflits et les obstacles, et faire en sorte que le protagoniste se révèle en tentant de les surmonter. Quand, dans le récent Guadian of the Galaxy, Peter Quill fait une diversion en dansant, en première impression c’est drôle et inattendu mais en fait ça fait avancer l’histoire, ça nous apprend quelque chose sur lui, et son lien à cette Terre qu’il a perdu étant enfant. C'est élégant et très satisfaisant dramatiquement.
Le film de James Gunn (qui avait déjà fait Super) peut être vu comme une rêverie : celle d’un enfant dont la souffrance est telle qu’il préférerait être enlevé de cette Terre et qu’il imagine un avenir loin, très loin, où il est un héros avec pour compagnons un raton laveur, un arbre parlant, un extraterrestre un peu dense, et une guerrière féroce à la peau verte, en train de sauver la galaxie, de combattre des méchants et de piloter un vaisseaux spatial. J’ai souvent eu l’impression en voyant le film que j’étais face à des images intérieures d’une rêverie éveillée, un film plus proche des théories de R.L. Stevenson que de celles de Joseph Campbell.
Voici un extrait de la défense prise par Stevenson de l’île au Trésor, dans sa controverse face à Henry James :
« Il n’y a jamais eu d’enfant (…) qui n’ait cherché de l’or, n’ait été pirate ou chef militaire ou bandit de grand chemin, qui n’ai combattu, subit un naufrage et enduré la prison, taché ses petites mains de sang, vaillamment sauvé une bataille perdue et triomphalement protégé l’innocence et la beauté. » On croirait à deux trois détails près une critique du film de James Gunn.
Contrairement à une idée répandue, les films n'ont pas besoin de se prétendre intelligents. S’adresser aux seuls spectateurs qui se croient malins, c’est même souvent de la paresse, parce qu’il ne s’agit dès lors que de proposer une fable (une histoire astucieuse dont la morale est facile à tirer, ce qui semble la justifier), alors que produire une rêverie structurée pour lui donner l’illusion une existence tangible, débarrassée de tout autre justification, est un projet ambitieux et délicat qui n’a pas besoin de se parer d’une autre fonction (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas). On accorde scolairement trop d’importance à l’intelligence en narration, oubliant l’importance de l’intuition et de la simplicité, qualités bien plus difficiles à capturer, si discrètes et fragiles que bien des spectateurs qui se croient avertis, arrivent à l’âge de la critique (et parfois de l’opinion condescendante) sans s’apercevoir qu’ils les ont déjà irrémédiablement piétinées.
J’ai souvent l’impression de lire sur Marvel le même genre de critiques négatives – quand il y en a – que celles qu’on pouvait entendre sur les productions Spielberg destinées à ma génération dans les années 80 (Gremlins, Retour vers le futur, Goonies, Young Sherlock Hommes, etc.), qualifiées de légères, puériles, mercantiles, formatées, cyniques, incohérentes, surchargées de clins d’œil, de clichés, etc. Discours tenus avec tout le mépris de l’adulte au goût forcément averti au point d’en devenir pompeux et prosaïque, envers l’attirance éternelle des plus jeunes pour un imaginaire débridé… Mais vu que ces films sont aujourd’hui regardés et étudiés avec nostalgie et parfois vénération, laissons dire… Les générations passent… attendons que ceux qui auront grandis avec les productions Marvel soient en âge de les défendre et de rire de ceux qui n’ont pas saisi l’importance de s’adresser aux futurs rêveurs de ce monde.