26 mars 2008
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17:46
La semaine dernière c'était sur Dieu. Cette semaine, ce sera la démocratie. Et je rappelle que ce blog parle avant tout de la fiction, sous toutes ses formes… Cette réflexion est partie du fait que la notion de "démocratie directe" est encore considérée comme une idée populiste ou démagogique.
Déjà cette notion de "démocratie directe" est un peu étrange. Elle a été inventée parce que nous vivons dans l'illusion que les systèmes actuels sont des "démocraties indirectes"… ce qui n'a pas vraiment de sens. En fait, nous vivons dans un système républicain, possédant certes un idéal et des institutions d'inspiration démocratiques, mais nous sommes loin d'être en droit d'appeler ce système une "démocratie".
Ce que l'on appelle "démocratie directe" est tout simplement… la démocratie. Une démocratie n'empêche pas forcément qu'il y ait des représentants gouvernementaux qui proposent des lois (mais ceux-ci sont nommés par un mélange d'élection et de tirage au sort afin d'empêcher le populisme, justement). En revanche, c'est au peuple de voter les lois. Dire qu'il serait impossible de faire voter les lois aujourd'hui est difficile à soutenir, les structures existent (on pourrait voter les lois dans l'isoloir, ce qui voudrait dire se déplacer souvent), et cela demande seulement une volonté politique et beaucoup d'aménagement… et de temps libre (mais ne sommes-nous pas censé être une société de loisir ?). Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'une telle utopie (mais les utopies peuvent devenir un jour réalité) implique que l'abstention ne soit pas vue comme un problème. Chacun peut décider en son âme et conscience de se déplacer ou non pour voter une loi.
La démocratie est un système inventé à Athènes, où tous ceux considérés comme citoyens (40000 personnes quand même) avaient le droit de participer à l'ecclesia, discutaient et votaient les lois. Tout citoyen présent était entièrement libre de s'exprimer en public, de proposer un amendement et possèdait le droit de vote. Certes, les droits de l'homme n'existaient pas encore et certaines catégories (comme les femmes, les esclaves et les "métèques") étaient exclues. Cependant, il est à noter que les citoyens les plus pauvres avaient droit à une indemnité (la misthophorie) pour assister à la réunion de l'ecclésia ou assumer leurs charges publiques. La présidence des débats était tiré au sort ainsi que les membres de la Boulé (assemblée de 500 citoyens qui proposent les lois, qui sont désignés pour un an mais tirés au sort par groupes de 50 par dixième d'année).
La République a été inventée à Rome : il s'agit d'un système parlementaire représentatif. Le Sénat romain, pouvoir suprême, n'était pas désigné par le peuple mais nommé (ce sont d'anciens magistrats). Il y a cependant un suffrage : les citoyens votent pour les comices tributes et les comices centuriates qui eux-mêmes votent pour les magistratures inférieures et supérieures, parmi lesquelles seront recrutés les sénateurs. La république romaine n'est pas tant un système d'inspiration démocratique qu'une oligarchie (à peine) déguisée.
Les systèmes modernes, en particulier la France et les USA, sont inspirés de ces deux grands systèmes, et dans une certaine mesure, on pourrait dire qu'ils ont créé des formes originales de gouvernement à partir de ces inspirations. Cependant, si ces modèles ont quelque valeur encore aujourd'hui, il manque au systèmes français et américains quelques éléments essentiels pour être considérés comme des démocraties :
• Le fait d'avoir des assemblées larges. Avec 250000 habitants, Athènes parvenait à réunir plusieurs milliers de personnes dans l'ecclesia pour voter les lois. Aucune assemblée législative républicaine ne peut se targuer d'être aussi représentative, bien que les populations des nations modernes soient bien plus nombreuses que la population d'Athènes.
• La participation active et quotidienne de tous les citoyens, y compris en dehors du vote, à la vie politique dans son ensemble.
• Le tirage au sort de l'exécutif qui, seul, garantit que toutes les opinions et toutes les formations seront représentées un jour ou l'autre. Le tirage au sort est nécessaire à la représentation démocratique. Cela nous paraît aberrant parce que nous croyons que le hasard ne devrait pas avoir sa place dans la politique. L'idée que des représentants soient tirés au sort serait certainement effrayant pour nos sociétés basée sur le contrôle.
En réalité, le système moderne ne représente que l'illusion du contrôle. Sans nous l'avouer, nous élisons des représentants selon un critère prépondérant : sont ils doués pour la conquête du pouvoir ? Cependant, les qualités nécessaires à la conquête du pouvoir (ambition démesurée, démagogie, égoïsme, tactique à court terme) sont non seulement différentes mais opposées aux qualités nécessaires pour assumer les responsabilités qu'implique l'obtention du pouvoir (sens du sacrifice, capacité à convaincre de prendre des décisions difficiles, stratégie à long terme).
L'utilisation du tirage au sort est un moyen essentiel de garantir la démocratie : cela permet d'éviter la prééminence des démagogues aux postes exécutif et de s'assurer que le pouvoir ne reste pas concentré entre les mains d'une catégorie d'individu particulière. Ainsi, chacun a la chance de pouvoir faire avancer les choses.
Bref, même si les républiques modernes sont fondées sur un équilibre des pouvoir plus précis et plus délicat que le système romain, elles sont philosophiquement très comparables à ce dernier. Il s'agit bien de professionnaliser la politique et de donner la plus grande partie du pouvoir à une élite (aristocratique chez les romains et technocratique en France et aux USA) censée représenter le peuple, non au peuple lui-même. La dérive démagogique ou populiste des républiques est presque inévitable.
Les gouvernants possèdent généralement des mandats de plusieurs années, ce qui est considéré comme un facteur de stabilité politique. Par comparaison, le boulé athénien qui proposait les lois changeait un dixième de ses représentant chaque dixième d'année. La stabilité du système athénien était due au fait qu'il représentait le plus finement possible la volonté des citoyens et que celle ci ne changeait pas du jour au lendemain.
On remarquera que la République Romaine, après plusieurs siècles de stabilité, s'est transformée en dictature (l'Empire) suite à une crise du système institutionnel (échec des réformes "sociales" des Gracques, incompétence du Sénat lors de la guerre contre Jugurtha, guerres civiles, introduction du principe autocratique lors de la dictature de César) qui aboutira à la prise du pouvoir d'Octave qui deviendra Auguste, le premier César. La démocratie athénienne elle s'est peu à peu délitée, après la victoire d'Alexandre à Chéronée, sous l'effet de l'hégémonie macédonienne puis romaine. C'est donc une conquête extérieure et des défaites militaires (toujours possibles en cas de guerre) qui ont mis fin à la démocratie athénienne. Ces éléments ne sont donc pas liés au système démocratique lui-même.
S'inspirer des démocraties du passé peut être une bonne chose, mais il ne faut pas oublier que les solutions importées sans précautions d'une époque différente ne conviendront probablement pas à notre société. Si nous voulions une démocratie, il s'agirait donc de s'inspirer de l'expérience athénienne pour la réinventer, et non l'appliquer brutalement. Par exemple, aujourd'hui, on ne peut plus imaginer que la notion de citoyenneté puisse ne pas inclure les femmes.
Si la démocratie reste une utopie positive et attractive, il est probable que beaucoup résistent encore à ne serait-ce qu'envisager son application. D'une part, changer de mode de fonctionnement de façon aussi radicale semble effrayant. Ensuite, l'idée de tirage au sort d'une assemblée fait, à tort, peur à beaucoup de gens. Cependant, il reste à prouver en quoi ceux qui seraient nommés de cette façon (qui sont tirés au sort parmi un large panel d'élus - chaque quartier élit un délégué) feraient moins d'erreurs politiques une fois au pouvoir que des politiciens qui ont pour motivation le fait d'être réélu et d'assouvir leurs ambitions… Dans la démocratie d'inspiration athénienne, impossible de cumuler les mandats ou d'être un professionnel de la politique politicienne arrivé au pouvoir uniquement grâce à ses amitiés et son entregens…
Attention, je ne dis pas que la démocratie, si elle est un jour tentée à une échelle plus large qu'une cité, sera un système parfait et nous projettera dans un monde idéal, débarrassé de toute injustice, loin s'en faut. Il faudra encore se battre pour changer les choses, mais, au moins, chacun aura moyen de le faire à son niveau.
Malgré les limites inhérentes à tout système, je pense qu'il serait judicieux de s'inspirer un peu plus des démocraties et un peu moins des républiques. Non parce que le peuple ne se trompe jamais, (il est illusoire de croire qu'un système, quel qu'il soit, ne fera pas d’erreur), mais parce qu'il est juste que nous décidions en commun de la société que nous voulons...
La démocratie implique d'être exigeant envers le peuple et de ne pas lui offrir de solution simple, mais au contraire de lui imposer une responsabilité accrue et plus de devoirs. De ce fait, elle se situe à l'opposé exact du populisme.
Déjà cette notion de "démocratie directe" est un peu étrange. Elle a été inventée parce que nous vivons dans l'illusion que les systèmes actuels sont des "démocraties indirectes"… ce qui n'a pas vraiment de sens. En fait, nous vivons dans un système républicain, possédant certes un idéal et des institutions d'inspiration démocratiques, mais nous sommes loin d'être en droit d'appeler ce système une "démocratie".
Ce que l'on appelle "démocratie directe" est tout simplement… la démocratie. Une démocratie n'empêche pas forcément qu'il y ait des représentants gouvernementaux qui proposent des lois (mais ceux-ci sont nommés par un mélange d'élection et de tirage au sort afin d'empêcher le populisme, justement). En revanche, c'est au peuple de voter les lois. Dire qu'il serait impossible de faire voter les lois aujourd'hui est difficile à soutenir, les structures existent (on pourrait voter les lois dans l'isoloir, ce qui voudrait dire se déplacer souvent), et cela demande seulement une volonté politique et beaucoup d'aménagement… et de temps libre (mais ne sommes-nous pas censé être une société de loisir ?). Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'une telle utopie (mais les utopies peuvent devenir un jour réalité) implique que l'abstention ne soit pas vue comme un problème. Chacun peut décider en son âme et conscience de se déplacer ou non pour voter une loi.
La démocratie est un système inventé à Athènes, où tous ceux considérés comme citoyens (40000 personnes quand même) avaient le droit de participer à l'ecclesia, discutaient et votaient les lois. Tout citoyen présent était entièrement libre de s'exprimer en public, de proposer un amendement et possèdait le droit de vote. Certes, les droits de l'homme n'existaient pas encore et certaines catégories (comme les femmes, les esclaves et les "métèques") étaient exclues. Cependant, il est à noter que les citoyens les plus pauvres avaient droit à une indemnité (la misthophorie) pour assister à la réunion de l'ecclésia ou assumer leurs charges publiques. La présidence des débats était tiré au sort ainsi que les membres de la Boulé (assemblée de 500 citoyens qui proposent les lois, qui sont désignés pour un an mais tirés au sort par groupes de 50 par dixième d'année).
La République a été inventée à Rome : il s'agit d'un système parlementaire représentatif. Le Sénat romain, pouvoir suprême, n'était pas désigné par le peuple mais nommé (ce sont d'anciens magistrats). Il y a cependant un suffrage : les citoyens votent pour les comices tributes et les comices centuriates qui eux-mêmes votent pour les magistratures inférieures et supérieures, parmi lesquelles seront recrutés les sénateurs. La république romaine n'est pas tant un système d'inspiration démocratique qu'une oligarchie (à peine) déguisée.
Les systèmes modernes, en particulier la France et les USA, sont inspirés de ces deux grands systèmes, et dans une certaine mesure, on pourrait dire qu'ils ont créé des formes originales de gouvernement à partir de ces inspirations. Cependant, si ces modèles ont quelque valeur encore aujourd'hui, il manque au systèmes français et américains quelques éléments essentiels pour être considérés comme des démocraties :
• Le fait d'avoir des assemblées larges. Avec 250000 habitants, Athènes parvenait à réunir plusieurs milliers de personnes dans l'ecclesia pour voter les lois. Aucune assemblée législative républicaine ne peut se targuer d'être aussi représentative, bien que les populations des nations modernes soient bien plus nombreuses que la population d'Athènes.
• La participation active et quotidienne de tous les citoyens, y compris en dehors du vote, à la vie politique dans son ensemble.
• Le tirage au sort de l'exécutif qui, seul, garantit que toutes les opinions et toutes les formations seront représentées un jour ou l'autre. Le tirage au sort est nécessaire à la représentation démocratique. Cela nous paraît aberrant parce que nous croyons que le hasard ne devrait pas avoir sa place dans la politique. L'idée que des représentants soient tirés au sort serait certainement effrayant pour nos sociétés basée sur le contrôle.
En réalité, le système moderne ne représente que l'illusion du contrôle. Sans nous l'avouer, nous élisons des représentants selon un critère prépondérant : sont ils doués pour la conquête du pouvoir ? Cependant, les qualités nécessaires à la conquête du pouvoir (ambition démesurée, démagogie, égoïsme, tactique à court terme) sont non seulement différentes mais opposées aux qualités nécessaires pour assumer les responsabilités qu'implique l'obtention du pouvoir (sens du sacrifice, capacité à convaincre de prendre des décisions difficiles, stratégie à long terme).
L'utilisation du tirage au sort est un moyen essentiel de garantir la démocratie : cela permet d'éviter la prééminence des démagogues aux postes exécutif et de s'assurer que le pouvoir ne reste pas concentré entre les mains d'une catégorie d'individu particulière. Ainsi, chacun a la chance de pouvoir faire avancer les choses.
Bref, même si les républiques modernes sont fondées sur un équilibre des pouvoir plus précis et plus délicat que le système romain, elles sont philosophiquement très comparables à ce dernier. Il s'agit bien de professionnaliser la politique et de donner la plus grande partie du pouvoir à une élite (aristocratique chez les romains et technocratique en France et aux USA) censée représenter le peuple, non au peuple lui-même. La dérive démagogique ou populiste des républiques est presque inévitable.
Les gouvernants possèdent généralement des mandats de plusieurs années, ce qui est considéré comme un facteur de stabilité politique. Par comparaison, le boulé athénien qui proposait les lois changeait un dixième de ses représentant chaque dixième d'année. La stabilité du système athénien était due au fait qu'il représentait le plus finement possible la volonté des citoyens et que celle ci ne changeait pas du jour au lendemain.
On remarquera que la République Romaine, après plusieurs siècles de stabilité, s'est transformée en dictature (l'Empire) suite à une crise du système institutionnel (échec des réformes "sociales" des Gracques, incompétence du Sénat lors de la guerre contre Jugurtha, guerres civiles, introduction du principe autocratique lors de la dictature de César) qui aboutira à la prise du pouvoir d'Octave qui deviendra Auguste, le premier César. La démocratie athénienne elle s'est peu à peu délitée, après la victoire d'Alexandre à Chéronée, sous l'effet de l'hégémonie macédonienne puis romaine. C'est donc une conquête extérieure et des défaites militaires (toujours possibles en cas de guerre) qui ont mis fin à la démocratie athénienne. Ces éléments ne sont donc pas liés au système démocratique lui-même.
S'inspirer des démocraties du passé peut être une bonne chose, mais il ne faut pas oublier que les solutions importées sans précautions d'une époque différente ne conviendront probablement pas à notre société. Si nous voulions une démocratie, il s'agirait donc de s'inspirer de l'expérience athénienne pour la réinventer, et non l'appliquer brutalement. Par exemple, aujourd'hui, on ne peut plus imaginer que la notion de citoyenneté puisse ne pas inclure les femmes.
Si la démocratie reste une utopie positive et attractive, il est probable que beaucoup résistent encore à ne serait-ce qu'envisager son application. D'une part, changer de mode de fonctionnement de façon aussi radicale semble effrayant. Ensuite, l'idée de tirage au sort d'une assemblée fait, à tort, peur à beaucoup de gens. Cependant, il reste à prouver en quoi ceux qui seraient nommés de cette façon (qui sont tirés au sort parmi un large panel d'élus - chaque quartier élit un délégué) feraient moins d'erreurs politiques une fois au pouvoir que des politiciens qui ont pour motivation le fait d'être réélu et d'assouvir leurs ambitions… Dans la démocratie d'inspiration athénienne, impossible de cumuler les mandats ou d'être un professionnel de la politique politicienne arrivé au pouvoir uniquement grâce à ses amitiés et son entregens…
Attention, je ne dis pas que la démocratie, si elle est un jour tentée à une échelle plus large qu'une cité, sera un système parfait et nous projettera dans un monde idéal, débarrassé de toute injustice, loin s'en faut. Il faudra encore se battre pour changer les choses, mais, au moins, chacun aura moyen de le faire à son niveau.
Malgré les limites inhérentes à tout système, je pense qu'il serait judicieux de s'inspirer un peu plus des démocraties et un peu moins des républiques. Non parce que le peuple ne se trompe jamais, (il est illusoire de croire qu'un système, quel qu'il soit, ne fera pas d’erreur), mais parce qu'il est juste que nous décidions en commun de la société que nous voulons...
La démocratie implique d'être exigeant envers le peuple et de ne pas lui offrir de solution simple, mais au contraire de lui imposer une responsabilité accrue et plus de devoirs. De ce fait, elle se situe à l'opposé exact du populisme.