4 avril 2009
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J'ai envie de revenir sur un propos d'Alain Corneau « il y a une conception d’Internet quasi mystique, qui en fait un objet tout le temps en mouvement, impossible à contrôler ». La notion de contrôle me trouble un peu et j'aimerai comprendre pourquoi il faudrait "contrôler" internet.
Revenons un peu en arrière… lorsque Gutenberg eu en 1440 l'idée de transformer le principe du pressoir à vin pour en faire la presse à imprimer, il donna, pourrait-on dire, naissance au monde moderne. Les avancées sociales et technologique obtenues depuis cette époque n'auraient pas été possibles sans l'invention du livre. La reproduction du savoir sur support papier a mis la connaissance à la portée de tous et a abouti (pour aller vite) à la révolution française autant qu'à l'invention de la machine à vapeur. La créativité, c'est avant tout la capacité de mettre en rapport des connaissances éparses et de développer des idées qui ont été initiées par d'autres.
Il ne suffisait pas à Denis Papin de voir se soulever le couvercle d'une marmite d'eau bouillante pour inventer la première machine à vapeur. Il fallait aussi avoir connaissance du principe de Huygens permettant de faire le vide à l'aide d'une explosion, il fallait avoir un minimum de connaissance pour transmettre le mouvement. Bref, il fallait être capable de rassembler un savoir épars pour produire une machine unique. Et le livre fut longtemps le moyen privilégié de connaissance et de communications des idées.
Le livre peut être emporté partout, il ne demande pas d'énergie et s'il est bien conservé peut durer plusieurs siècles. Ses défauts : être un support solide, c'est à dire nécessiter de la place, un investissement, et obliger à une recherche extensive pour permettre de retrouver une information pertinente. Parce qu'il palie à ces manques, le reseau Internet représente bien une révolution comparable à celle de Gutenberg.
Ce n'est pas seulement le nombre de neurones de notre cerveau qui permet à l'intelligence de fonctionner, mais leur diversité et la richesse des interconnection entre les neurones. De là, jaillirait la conscience. Dans le tissu social, ce n'est pas seulement le savoir individuel qui compte, mais la facilité avec laquelle la connaissance circule. En donnant une possibilité de mettre en relation de façon exponentielle des découvertes éparses, internet représente une révolution comparable à celle du livre : un accès plus aisé, plus global aux connaissances de notre temps, aux informations de notre époque, et une capacité plus grande de mettre en relation des domaines et des idées autrefois sans rapports.
Le combat pour le droit d'auteur ne précéda pas le livre, il en fut la conséquence, et parce qu'il en fut la conséquence, il fut largement modelé sur ce qu'était le livre, c'est à dire un support physique, reproductible industriellement. Les droits d'auteurs étaient donc dépendants de la vente, de la diffusion et de la reproduction industrielle, dépendance qui n'a pas lieu d'être lorsqu'on parle d'échanges virtuels. Adapter les droits d'auteurs à ces échanges est le meilleur moyen de les faire subsister, parce qu'il est simplement impossible de traiter la diffusion virtuelle comme s'il s'agissait d'échanges physiques. On peut mettre au pilon des DVD de contrefaçon d'un film, mais on ne pourra jamais pilonner un fichier DivX…
Internet permet de publier une information instantanément et de permettre qu'elle fasse le tour du monde bien avant que des rotatives ait pu les imprimer. Par le biais des moteurs de recherche, le réseau permet d'aller directement à une information en fonction de sa pertinence avec un résultat quasi instantané – ce qui ne doit pas empêcher la vigilance ni la vérification de l'information en question. Mais de même qu'un livre peut être truffé d'erreurs ou d'idées néfastes, internet n'est que le reflet des imperfections humaines : développer le sens critique est aussi important aujourd'hui qu'à l'époque de Descartes.
Cela dit, le parallèle entre la civilisation virtuelle qui s'annonce et celle du papier (qui ne sont pas incompatibles mais complémentaires, de même que le livre n'a pas mis fin à la calligraphie), semble pertinent. Le livre, comme internet, n'est qu'un support à l'information, un moyen de communication.
Et reprenons un instant la phrase d'Alain Corneau à la lumière de cette idée et demandons nous quelle aurait été notre réaction si nous avions lu : "il y a une conception du livre quasi mystique, qui en fait un objet tout le temps en mouvement, impossible à contrôler". Relisons la phrase deux trois fois. L'impression est-elle agréable ? Pas vraiment. Le mot qui nous gène est bien celui de "contrôle". Contrôler le livre ? Le contrôler comment ? Et surtout qui va le contrôler ?
A l'évidence Alain Corneau n'aurait jamais utilisé le même vocable s'il s'était agit du livre, parce que, malgré "Mein Kampf", le livre est synonyme depuis longtemps de progrès, culture et humanisme, parce que le combat pour la liberté d'expression a fini par être plus ou moins gagné contre tous ceux qui prétendaient contrôler quelles idées étaient publiables ou pas. Et qu'appeler à contrôler le livre apparaîtrait comme insupportable, comme un appel à la censure. Est-ce une vision mystique ? je ne sais pas…
Le droit d'auteur n'a jamais été un "contrôle" du livre. C'était juste un nouveau modèle économique, qui garantissait aux auteurs de l'époque une indépendance vis-à-vis des mécènes et une juste rétribution par rapport au "nouveau" support (au XVIIIe siècle, le livre avait quatre cents ans mais l'explosion des tirages lié à l'amélioration des imprimeries industrielles était relativement récent).
Or le cinéma, la musique, possèdent les même caractéristiques que le livre : après avoir nécessité des support physiques, ils peuvent être transformés en flux d'information libre de tout support physique déterminé. Nous sommes passé d'un monde de connaissances sur supports, à un monde d'informations virtuelles (sans pour autant que ce soit exclusif). L'important n'est pas de contrôler ces flux d'informations mais bien de permettre un modèle économique qui garantissent aux auteurs qu'ils pourront continuer à produire des œuvre avec le maximum d'indépendance et qu'ils ne seront pas exploités par ceux qui tirent profit de leur travail sans rien leur reverser (les FAI).
C'est en tout cas une perspective qui permettrait de sortir des diktats parfois absurdes des chaînes de télévision qui en refusant un projet signent souvent en France son arrêt de mort : quand un réalisateur est allé proposé un projet à Canal+, et TF1 et qu'il a été refusé, il peut considéré dores et déjà que les chances de voir son film se faire un jour sont pratiquement nulles, car même l'avance sur recette ne lui suffira pas pour boucler son budget.
Internet peut changer cette donne, à condition que les artistes proposent de nouveau modèles économiques qui sont adaptés au réseau. Alors que le livre et le cinéma d'autrefois enrichissaient forcément tout un tas d'intermédiaires, et nécessitaient des matières premières et des élaborations industrielles pour être diffusés (le prix d'une copie sur pellicule est clairement un frein à la diffusion), les artistes, par le biais d'internet ont la possibilité d'aller directement à la source et d'accéder à de nouveaux modes de diffusions qui les favorise. Une œuvre en première diffusion sur internet comme le fit l'an dernier Joss Whedon avec Dr Horrible est devenue possible et même rentable (Dr Horrible a rapporté le double de son budget rien que par les téléchargements - grace à la pub - et, malgré la diffusion gratuite sur internet, s'est bien vendu en DVD).
On peut aussi par exemple imaginer la possibilité d'adapter au cinéma le modèle économique de "l'otage" inventé, je crois, par les créateurs de logiciels. Lorsqu'un film a besoin d'un budget modeste, le réalisateur ou toute personne ayant quelque notoriété dans son domaine peut faire un appel aux internautes en présentant son projet : tout internaute peut donner la somme qu'il veut pour aider le film à se faire, sachant que le film ne pourra pas être tourné si une certaine somme n'est pas atteinte (qui comprend le bénéfice fixe qu'entend atteindre son auteur). Si le film n'est pas tourné, chaque internaute se verra remboursé intégralement, mais si la somme nécessaire est atteinte, le film sera mis en disposition gratuite indéfiniment dans une copie de qualité sur internet (ce qui n'empêche pas forcément, d'ailleurs, une sortie cinéma et des diffusion télévisée qui assureront d'autres formes de rémunération). Je ne suis pas juriste, donc les modalités restent un peu floues, mais vous comprenez l'idée. Bien sûr, tous les projets ne sont pas adaptés à un tel modèle (il faut de la notoriété et un projet très attractif, peu onéreux mais adapté au public d'internet) mais c'est un modèle qui a l'avantage de rapprocher le créateur de son public et de couper les intermédiaires.
Obtenir la licence globale (ou un modèle économique de ce genre) risque d'être un combat compliqué. Quelles modalités faudra-t-il pour son application ? Comment la rendre juste ? Prendra-t-elle en compte le chiffre des téléchargement ou se fera-t-elle en proportion des entrées en salle, empêchant qu'un artiste puisse connaître son succès sur internet alors qu'il n'a pas eu de sortie digne de ce nom ?
L'HADOPI a beau avoir été adoptée, il y a loin de son adoption à son application, et le temps qu'elle va nous faire perdre pour faire mettre en place une solution plus juste pour les auteurs doit être mise à profit pour réfléchir à ce que nous voulons.
Alain Corneau parle de la mystique d'internet, il a peut-être raison, mais je lui opposerai la conception non moins mystique qui prévaut lorsqu'on parle des droits d'auteur. Oui, le droit d'auteur à la française me semble plus juste sur le principe que le copyright à l'américaine, mais malheureusement, il reste souvent inadapté pour les "petits" artistes qui ne sont pas encore des ayant-droits. Ceux-là, la SACD ne les défendra pas.
Aux USA, il est impossible (et même interdit, par contrat avec la Writer's Guild) à un producteur de demander aux scénaristes d'écrire ne serait-ce qu'une ligne sans lui proposer une rétribution. En France, et parce que le droit d'auteur existe, il est monnaie courante pour un producteur de lancer des scénaristes sur des projets à la télévision et au cinéma sans lui proposer le moindre sou pour son travail préparatoire, travail préparatoire qui servira au producteur pour proposer un panel de projet aux décideurs et qui le fera "exister" auprès d'eux, même si le projet n'est pas retenu. Dans le cas où le projet est rejeté, le producteur en aura retiré un bénéfice (prise de contact, possibilité de proposer un éventail large de projets sur un appel d'offre) mais pas l'auteur. Cela est possible entre autre à cause d'une certaine conception – mystique – du droit d'auteur, une conception qui fait qu'on trouve normal que les auteurs – particulièrement les scénaristes – prennent toujours les plus gros risques, puisqu'à terme ils seront parmi les "vrais" propriétaires de l'œuvre… On oublie juste de les prévenir que l'œuvre en question n'est qu'un projet et qu'elle n'existera probablement jamais.
Car il y a loin d'un projet à son accomplissement. Un producteur peut venir vous voir en vous disant que telle chaîne veut se lancer dans le film d'horreur, et qu'il voudrait que vous fassiez un synopsis (sachant qu'un synopsis, c'est la construction même du film, c'est à dire sa colonne vertébrale et qu'on parle de plusieurs mois de travail pour que ce soit bien fait). Lorsque celui-ci est écrit, puis réécrit plusieurs fois pour être conforme au désir du producteur, et que le scénariste pense qu'il va enfin pouvoir être payé, la chaîne a eu le temps de changer d'avis et de rejeter systématiquement tout scénario d'horreur à la suite de quelques échecs commerciaux dans le genre concerné... Le producteur s'excuse, "désolé, j'aime le projet, mais je ne peux pas me lancer là-dedans sans l'argent des chaînes". Et, en attendant, le scénariste a travaillé pour rien.
Au-delà du problème particulier d'internet, défendre le cinéma français et les jeunes créateurs ne passe-t-il pas aussi d'abord et avant tout par un combat contre certaines pratiques abusives de la profession ? Cela fait des années que j'assiste à des abus envers les scénaristes (commandes non payées déguisées en "opportunité impossible à refuser", demandes de réécritures sans frais et sans justification, délais impossibles à tenir sans perte de qualité, frais de recherche non remboursés, etc.), et je n'ai pourtant pas vu beaucoup de membre de la profession présents pour soutenir l'HADOPI s'en inquiéter. Pourtant, je ne suis pas le premier à dire que l'état du scénario en France est calamiteux. Tous ces gens ne voient-ils pas qu'il y a une corrélation entre la qualité des scénarios (et donc des films) et la façon dont on paye et traite les scénaristes ?
A l'évidence, les professionnels du cinéma sont capables de s'engager dans un miltantisme actif pour l'avenir de la profession lorsqu'ils comptent assurer la défense (mal dirigée) de leurs intérêts immédiats, mais je doute un peu de leur volonté de protéger les petits vu qu'ils se sont toujours tus lorsqu'il s'agissait de combattre une réelle injustice de pratique. Ils soutiennent une loi HADOPI qui se présente comme "pédagogique"… belle pédagogie ! Ils nous apprennent surtout qu'en France, quand on tient le haut du pavé, c'est normal de rouler pour soi. "Télécharger gratuitement un film c'est du vol", disent-ils, mais qu'on puisse commander des synopsis légalement sans offrir une juste rémunération aux auteurs, ce n'est pas digne d'une mobilisation des kadors de la profession pour permettre de sauvegarder la pluralité ou pour combattre une "gratuité" qui, contrairement à celle d'internet, implique forcément que des auteurs ne soient pas payés pour leur travail.
Mais pour que cette situation scandaleuse change, il faudra se débarrasser d'une autre conception mystique : celle qui suppose que les artistes sont des purs esprits, des ayant-droits en devenir, et non des travailleurs, des artisans, qui ont eux aussi besoin de payer leur loyer en fin de mois.
Revenons un peu en arrière… lorsque Gutenberg eu en 1440 l'idée de transformer le principe du pressoir à vin pour en faire la presse à imprimer, il donna, pourrait-on dire, naissance au monde moderne. Les avancées sociales et technologique obtenues depuis cette époque n'auraient pas été possibles sans l'invention du livre. La reproduction du savoir sur support papier a mis la connaissance à la portée de tous et a abouti (pour aller vite) à la révolution française autant qu'à l'invention de la machine à vapeur. La créativité, c'est avant tout la capacité de mettre en rapport des connaissances éparses et de développer des idées qui ont été initiées par d'autres.
Il ne suffisait pas à Denis Papin de voir se soulever le couvercle d'une marmite d'eau bouillante pour inventer la première machine à vapeur. Il fallait aussi avoir connaissance du principe de Huygens permettant de faire le vide à l'aide d'une explosion, il fallait avoir un minimum de connaissance pour transmettre le mouvement. Bref, il fallait être capable de rassembler un savoir épars pour produire une machine unique. Et le livre fut longtemps le moyen privilégié de connaissance et de communications des idées.
Le livre peut être emporté partout, il ne demande pas d'énergie et s'il est bien conservé peut durer plusieurs siècles. Ses défauts : être un support solide, c'est à dire nécessiter de la place, un investissement, et obliger à une recherche extensive pour permettre de retrouver une information pertinente. Parce qu'il palie à ces manques, le reseau Internet représente bien une révolution comparable à celle de Gutenberg.
Ce n'est pas seulement le nombre de neurones de notre cerveau qui permet à l'intelligence de fonctionner, mais leur diversité et la richesse des interconnection entre les neurones. De là, jaillirait la conscience. Dans le tissu social, ce n'est pas seulement le savoir individuel qui compte, mais la facilité avec laquelle la connaissance circule. En donnant une possibilité de mettre en relation de façon exponentielle des découvertes éparses, internet représente une révolution comparable à celle du livre : un accès plus aisé, plus global aux connaissances de notre temps, aux informations de notre époque, et une capacité plus grande de mettre en relation des domaines et des idées autrefois sans rapports.
Le combat pour le droit d'auteur ne précéda pas le livre, il en fut la conséquence, et parce qu'il en fut la conséquence, il fut largement modelé sur ce qu'était le livre, c'est à dire un support physique, reproductible industriellement. Les droits d'auteurs étaient donc dépendants de la vente, de la diffusion et de la reproduction industrielle, dépendance qui n'a pas lieu d'être lorsqu'on parle d'échanges virtuels. Adapter les droits d'auteurs à ces échanges est le meilleur moyen de les faire subsister, parce qu'il est simplement impossible de traiter la diffusion virtuelle comme s'il s'agissait d'échanges physiques. On peut mettre au pilon des DVD de contrefaçon d'un film, mais on ne pourra jamais pilonner un fichier DivX…
Internet permet de publier une information instantanément et de permettre qu'elle fasse le tour du monde bien avant que des rotatives ait pu les imprimer. Par le biais des moteurs de recherche, le réseau permet d'aller directement à une information en fonction de sa pertinence avec un résultat quasi instantané – ce qui ne doit pas empêcher la vigilance ni la vérification de l'information en question. Mais de même qu'un livre peut être truffé d'erreurs ou d'idées néfastes, internet n'est que le reflet des imperfections humaines : développer le sens critique est aussi important aujourd'hui qu'à l'époque de Descartes.
Cela dit, le parallèle entre la civilisation virtuelle qui s'annonce et celle du papier (qui ne sont pas incompatibles mais complémentaires, de même que le livre n'a pas mis fin à la calligraphie), semble pertinent. Le livre, comme internet, n'est qu'un support à l'information, un moyen de communication.
Et reprenons un instant la phrase d'Alain Corneau à la lumière de cette idée et demandons nous quelle aurait été notre réaction si nous avions lu : "il y a une conception du livre quasi mystique, qui en fait un objet tout le temps en mouvement, impossible à contrôler". Relisons la phrase deux trois fois. L'impression est-elle agréable ? Pas vraiment. Le mot qui nous gène est bien celui de "contrôle". Contrôler le livre ? Le contrôler comment ? Et surtout qui va le contrôler ?
A l'évidence Alain Corneau n'aurait jamais utilisé le même vocable s'il s'était agit du livre, parce que, malgré "Mein Kampf", le livre est synonyme depuis longtemps de progrès, culture et humanisme, parce que le combat pour la liberté d'expression a fini par être plus ou moins gagné contre tous ceux qui prétendaient contrôler quelles idées étaient publiables ou pas. Et qu'appeler à contrôler le livre apparaîtrait comme insupportable, comme un appel à la censure. Est-ce une vision mystique ? je ne sais pas…
Le droit d'auteur n'a jamais été un "contrôle" du livre. C'était juste un nouveau modèle économique, qui garantissait aux auteurs de l'époque une indépendance vis-à-vis des mécènes et une juste rétribution par rapport au "nouveau" support (au XVIIIe siècle, le livre avait quatre cents ans mais l'explosion des tirages lié à l'amélioration des imprimeries industrielles était relativement récent).
Or le cinéma, la musique, possèdent les même caractéristiques que le livre : après avoir nécessité des support physiques, ils peuvent être transformés en flux d'information libre de tout support physique déterminé. Nous sommes passé d'un monde de connaissances sur supports, à un monde d'informations virtuelles (sans pour autant que ce soit exclusif). L'important n'est pas de contrôler ces flux d'informations mais bien de permettre un modèle économique qui garantissent aux auteurs qu'ils pourront continuer à produire des œuvre avec le maximum d'indépendance et qu'ils ne seront pas exploités par ceux qui tirent profit de leur travail sans rien leur reverser (les FAI).
C'est en tout cas une perspective qui permettrait de sortir des diktats parfois absurdes des chaînes de télévision qui en refusant un projet signent souvent en France son arrêt de mort : quand un réalisateur est allé proposé un projet à Canal+, et TF1 et qu'il a été refusé, il peut considéré dores et déjà que les chances de voir son film se faire un jour sont pratiquement nulles, car même l'avance sur recette ne lui suffira pas pour boucler son budget.
Internet peut changer cette donne, à condition que les artistes proposent de nouveau modèles économiques qui sont adaptés au réseau. Alors que le livre et le cinéma d'autrefois enrichissaient forcément tout un tas d'intermédiaires, et nécessitaient des matières premières et des élaborations industrielles pour être diffusés (le prix d'une copie sur pellicule est clairement un frein à la diffusion), les artistes, par le biais d'internet ont la possibilité d'aller directement à la source et d'accéder à de nouveaux modes de diffusions qui les favorise. Une œuvre en première diffusion sur internet comme le fit l'an dernier Joss Whedon avec Dr Horrible est devenue possible et même rentable (Dr Horrible a rapporté le double de son budget rien que par les téléchargements - grace à la pub - et, malgré la diffusion gratuite sur internet, s'est bien vendu en DVD).
On peut aussi par exemple imaginer la possibilité d'adapter au cinéma le modèle économique de "l'otage" inventé, je crois, par les créateurs de logiciels. Lorsqu'un film a besoin d'un budget modeste, le réalisateur ou toute personne ayant quelque notoriété dans son domaine peut faire un appel aux internautes en présentant son projet : tout internaute peut donner la somme qu'il veut pour aider le film à se faire, sachant que le film ne pourra pas être tourné si une certaine somme n'est pas atteinte (qui comprend le bénéfice fixe qu'entend atteindre son auteur). Si le film n'est pas tourné, chaque internaute se verra remboursé intégralement, mais si la somme nécessaire est atteinte, le film sera mis en disposition gratuite indéfiniment dans une copie de qualité sur internet (ce qui n'empêche pas forcément, d'ailleurs, une sortie cinéma et des diffusion télévisée qui assureront d'autres formes de rémunération). Je ne suis pas juriste, donc les modalités restent un peu floues, mais vous comprenez l'idée. Bien sûr, tous les projets ne sont pas adaptés à un tel modèle (il faut de la notoriété et un projet très attractif, peu onéreux mais adapté au public d'internet) mais c'est un modèle qui a l'avantage de rapprocher le créateur de son public et de couper les intermédiaires.
Obtenir la licence globale (ou un modèle économique de ce genre) risque d'être un combat compliqué. Quelles modalités faudra-t-il pour son application ? Comment la rendre juste ? Prendra-t-elle en compte le chiffre des téléchargement ou se fera-t-elle en proportion des entrées en salle, empêchant qu'un artiste puisse connaître son succès sur internet alors qu'il n'a pas eu de sortie digne de ce nom ?
L'HADOPI a beau avoir été adoptée, il y a loin de son adoption à son application, et le temps qu'elle va nous faire perdre pour faire mettre en place une solution plus juste pour les auteurs doit être mise à profit pour réfléchir à ce que nous voulons.
Alain Corneau parle de la mystique d'internet, il a peut-être raison, mais je lui opposerai la conception non moins mystique qui prévaut lorsqu'on parle des droits d'auteur. Oui, le droit d'auteur à la française me semble plus juste sur le principe que le copyright à l'américaine, mais malheureusement, il reste souvent inadapté pour les "petits" artistes qui ne sont pas encore des ayant-droits. Ceux-là, la SACD ne les défendra pas.
Aux USA, il est impossible (et même interdit, par contrat avec la Writer's Guild) à un producteur de demander aux scénaristes d'écrire ne serait-ce qu'une ligne sans lui proposer une rétribution. En France, et parce que le droit d'auteur existe, il est monnaie courante pour un producteur de lancer des scénaristes sur des projets à la télévision et au cinéma sans lui proposer le moindre sou pour son travail préparatoire, travail préparatoire qui servira au producteur pour proposer un panel de projet aux décideurs et qui le fera "exister" auprès d'eux, même si le projet n'est pas retenu. Dans le cas où le projet est rejeté, le producteur en aura retiré un bénéfice (prise de contact, possibilité de proposer un éventail large de projets sur un appel d'offre) mais pas l'auteur. Cela est possible entre autre à cause d'une certaine conception – mystique – du droit d'auteur, une conception qui fait qu'on trouve normal que les auteurs – particulièrement les scénaristes – prennent toujours les plus gros risques, puisqu'à terme ils seront parmi les "vrais" propriétaires de l'œuvre… On oublie juste de les prévenir que l'œuvre en question n'est qu'un projet et qu'elle n'existera probablement jamais.
Car il y a loin d'un projet à son accomplissement. Un producteur peut venir vous voir en vous disant que telle chaîne veut se lancer dans le film d'horreur, et qu'il voudrait que vous fassiez un synopsis (sachant qu'un synopsis, c'est la construction même du film, c'est à dire sa colonne vertébrale et qu'on parle de plusieurs mois de travail pour que ce soit bien fait). Lorsque celui-ci est écrit, puis réécrit plusieurs fois pour être conforme au désir du producteur, et que le scénariste pense qu'il va enfin pouvoir être payé, la chaîne a eu le temps de changer d'avis et de rejeter systématiquement tout scénario d'horreur à la suite de quelques échecs commerciaux dans le genre concerné... Le producteur s'excuse, "désolé, j'aime le projet, mais je ne peux pas me lancer là-dedans sans l'argent des chaînes". Et, en attendant, le scénariste a travaillé pour rien.
Au-delà du problème particulier d'internet, défendre le cinéma français et les jeunes créateurs ne passe-t-il pas aussi d'abord et avant tout par un combat contre certaines pratiques abusives de la profession ? Cela fait des années que j'assiste à des abus envers les scénaristes (commandes non payées déguisées en "opportunité impossible à refuser", demandes de réécritures sans frais et sans justification, délais impossibles à tenir sans perte de qualité, frais de recherche non remboursés, etc.), et je n'ai pourtant pas vu beaucoup de membre de la profession présents pour soutenir l'HADOPI s'en inquiéter. Pourtant, je ne suis pas le premier à dire que l'état du scénario en France est calamiteux. Tous ces gens ne voient-ils pas qu'il y a une corrélation entre la qualité des scénarios (et donc des films) et la façon dont on paye et traite les scénaristes ?
A l'évidence, les professionnels du cinéma sont capables de s'engager dans un miltantisme actif pour l'avenir de la profession lorsqu'ils comptent assurer la défense (mal dirigée) de leurs intérêts immédiats, mais je doute un peu de leur volonté de protéger les petits vu qu'ils se sont toujours tus lorsqu'il s'agissait de combattre une réelle injustice de pratique. Ils soutiennent une loi HADOPI qui se présente comme "pédagogique"… belle pédagogie ! Ils nous apprennent surtout qu'en France, quand on tient le haut du pavé, c'est normal de rouler pour soi. "Télécharger gratuitement un film c'est du vol", disent-ils, mais qu'on puisse commander des synopsis légalement sans offrir une juste rémunération aux auteurs, ce n'est pas digne d'une mobilisation des kadors de la profession pour permettre de sauvegarder la pluralité ou pour combattre une "gratuité" qui, contrairement à celle d'internet, implique forcément que des auteurs ne soient pas payés pour leur travail.
Mais pour que cette situation scandaleuse change, il faudra se débarrasser d'une autre conception mystique : celle qui suppose que les artistes sont des purs esprits, des ayant-droits en devenir, et non des travailleurs, des artisans, qui ont eux aussi besoin de payer leur loyer en fin de mois.