Bon, Nina m'informe que l'attaque terroriste a été annulée,
finalement… Oui, c'est ça… Sinon… il y a quoi à la cantine, ce midi ?
Récemment, Antoine de Froberville (mon co-scénariste) et moi, avons rencontré une "directrice littéraire" d'une maison de production spécialisée dans les téléfilms et séries, qui a pignon sur rue. Je tiens à dire que c'est elle qui voulait nous rencontrer et que ce n'était pas une candidature spontanée de notre part. Elle était même prévenue que nous étions échaudés par les méthodes de travail de la télé.
Voilà le résumé :
Elle : Je voudrais produire une série ambitieuse et travailler avec des nouveaux talents, en m'inspirant de la méthode américaine, créer un pool d'auteurs, etc.
Nous : Ouah, super ! Nous, les méthodes à l'américaine, travailler avec plusieurs autres scénaristes, on est pour. Cela dit, en parlant de méthode, précisons que dans un tel cas, la façon dont on travaille, c'est qu'on vous fait un pitch, vous prenez ou vous refusez sur cette base, mais après, on n'écrit pas une ligne sans être payés. À l'américaine quoi.
Elle : Pas de problème, c'est normal.
La discussion continue. A un moment, en l'entendant expliquer sa vision des choses, un doute m'étreint.
Moi : Mais c'est quoi un pitch pour vous ?
Elle : Ben c'est un résumé du scénario, de cinq pages, écrit.
Nous : Pas vraiment… Ça, ça s'appelle un synopsis. Un pitch, c'est trois minutes à l'oral pour vous convaincre qu'on a une bonne idée.
Elle : Vous êtes sûr ?
(Là on aurait dû se dire que ça sentait le pâté : un professionnel qui veut travailler à l'américaine, mais qui ne connaît pas le vocabulaire de base, c'est louche.)
Nous : Plutôt oui…
Elle : Mais enfin, ce n'est pas possible de savoir en trois minutes s'il y a une bonne histoire !
Nous : Ben les producteurs américains y arrivent… Ça oblige à aller à l'essentiel.
Elle : Ouais, mais ici c'est la France… Et puis, je n'aime pas qu'on me mette le couteau sous la gorge.
Nous : Nous, on ne vous oblige pas à nous engager… Maintenant, si on vous comprend bien, vous voulez qu'on bosse pour vous écrire un synopsis, c'est à dire faire la construction de l'histoire, ce qui présente 70% du boulot de scénariste et plusieurs semaines de travail, sans aucune garantie d'être payés. En gros, c'est la même méthode française qui aboutit à de mauvais scénarios depuis vingt ans parce que la construction est bâclée.
Elle : Oui, mais moi je veux des gens qui soient passionnés.
Nous : C'est à dire ?
Elle : Des gens qui travaillent par enthousiasme…
Nous : Sans être payés, quoi…
Elle : Bon, la discussion est finie, sortez de mon bureau.
Nous (on ne bouge pas d'un pouce) : On est apparemment parti du mauvais pied. Mais quand même, on aimerait comprendre. Vous venez nous chercher pour travailler pour vous, pour vous aider, et vous prenez mal quand on demande d'être payé. Nous, tout ce qu'on demande c'est que les risques soient partagés. Si on passe un mois sur le projet et que ça se casse la figure, parce que la direction de la chaîne a changé, ou que votre projet n'était pas intéressant pour eux à la base, on aura travaillé pour rien.
Elle : Si on va par là, on peut plus rien faire ! C'est pas du poker, je ne paye pas pour voir. En France, les scénaristes ne sont payés que si le projet est validé par le "client" (traduction : "la chaîne de télé"). C'est comme ça.
Nous : On comprendrait que ce soit comme ça si c'était notre projet, mais là, ce n'est pas le cas : ça reste quand même une commande de votre part…
Elle : A vous écouter, plus personne ne peut faire d'appel d'offres. Les architectes, ils travailleraient comment ?
Nous : Ben les appels d'offres, ça nous intéresse pas. On pensait que vous aviez un projet à proposer, pas un appel d'offres…
(A ce propos, on aurait pu ajouter que les partenaires qui travaillent pour un cabinet d'architecte continuent d'être payés même si le projet auxquels il collaborent n'est pas retenu lors d'un appel d'offres... mais bon, l'esprit d'escalier.)
Elle : De toutes façons, à partir du moment où vous voulez être payés pour écrire, c'est fini. Moi je ne travaille pas comme ça. La discussion est terminée.
Nous : Bon, au revoir, désolés de vous avoir fait perdre votre temps… et le nôtre.
VLAM ! (Bruit de la porte de la télé qui se ferme derrière nous pour au moins quatre ans…)
Conclusion : Eh oui, les productions veulent faire des séries innovantes et audacieuses, à condition que cette démarche ne demande pas qu'elles aient quoi que ce soit à changer à leurs méthodes éprouvées, qui ont donné les résultats que l'on sait…
Spectateur, j'espère que tu aimes Louis la Brocante et Julie Lescaut, on va te repasser le plat pendant encore longtemps.