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Articles Par Mois

25 septembre 2008 4 25 /09 /septembre /2008 21:36
Je ne vais pas faire ici une critique exhaustive de Dark Knight de Christopher Nolan. Beaucoup l'ont déjà fait - même si pas mal se sont égarés dans une pure lecture idéologique au ras des paquerettes, fondée en grande partie sur la vieille erreur qu'un héros doit représenter "le bien" et un méchant "le mal" - voir cet article sur Dexter ou je traite déjà du problème – (sans parler de ceux qui pensent encore que ramener systématiquement le propos d'un film aux mots  "blockbuster" ou "américain" donne l'air intelligent…)

Néanmoins, si vous n'avez pas vu le film, évitez de lire cet article qui contient des spoilers.


Je voudrais parler d'un aspect particulier de Dark Knight qui a beaucoup contribué à son succès chez les amateurs du comic book : la description du Joker et de son rapport avec Batman. Une grande partie de ces réflexions me sont venues dans une discussion par mail avec Marie Debray – dont vous pouvez trouver le blog ici (elle y parle aussi de Dark Knight et plein d'autres choses).

Ainsi la vision du Joker dans le film se situe-t-elle dans la continuité de celle que Grant Morrison dans sa BD Arkham Alysum (dessins de Dave McKean) avait souligné (se plaçant dans la tradition moderne initiée par Franck Miller et Alan Moore). Un psychiatre y dit du Joker qu'il n'a "pas de personnalité vraie, parce qu'il n'a pas de contrôle sur les données sensorielle qu'il reçoit du monde extérieur. Il doit donc se créer chaque jour et se voit comme le seigneur du désordre dans un monde qu'il perçoit comme un théâtre de l'absurde").

Pour autant, le Joker n'est pas détaché du monde matériel : le fait même qu'il fasse œuvre de destruction montre l'importance qu'il lui accorde. Ses désirs semblent incompréhensibles parce qu'ils s'opposent ceux que la société estime nécessaire pour qu'un individu entre dans les schémas établis : la propriété, l'ordre, la sécurité (qui sont trois obsessions de Batman). Il serait facile de l'appeler fou ou psychopathe mais il est simplement l'incarnation flamboyante du désordre - y compris dans ce que l'opposition à l'ordre peut avoir de plus rassurant et familier : le rire. Mais son rire sans joie est soudé de façon permanente et inquiétante à son visage.


Batman cherche à donner du sens au monde qui l'entoure - la cité corrompue de Gotham – en lui imposant un ordre dont elle ne veut pas, mais il se situe lui-même en dehors de l'ordre établi (il est un électron libre, et obéit à un code moral personnel qui permet son amitié avec le lieutenant Gordon). Il est incapable de jouir de la vie parce qu'il est bloqué dans le souvenir douloureux d'un traumatisme passé et la crainte permanente que l'avenir échappe à son contrôle. L'hédonisme même du play-boy Bruce Wayne est simulé : c'est qu'un masque de plus qui lui permet de cacher sa véritable nature. Batman est l'incarnation même de la dépression active : prisonnier du passé, inquiet de l'avenir, insatisfait du présent.

Le Joker, lui, refuse de trouver du sens à quoique ce soit. Peut-être est-ce à cause du traumatisme passé qu'il porte sur son visage – son "sourire". Il en réinvente d'ailleurs les origines selon son interlocuteur (je doute en fait qu'il sache quelle est la véritable histoire, comme le dit Brian Bolland dans sa postface à l'edition récente de The Killing Joke). Le Joker est apparemment prisonnier de son chaos passé, et impose le désordre pour que le monde corresponde à son point de vue. Pour pouvoir "brûler le monde", il accepte pourtant de participer même de façon passagère à un ordre et même à une hiérarchie (celle de la criminalité qui lui fournit des séides. Ces derniers, apparemment, acceptent sa domination alors même qu'il ne leur offre aucune autre récompense qu'une probable mort violente). Cependant, il perçoit la part d'ordre nécessaire qui subsiste encore comme un affront personnel, et démontre son mépris pour l'ordre qu'il a lui-même créé en brûlant l'argent gagné par ses exactions.

Le Joker et Batman forment une unité des opposés, un Yin et un Yang du chaos et de l'ordre, une image qui trouve son expression parfaite dans le personnage de Harvey Dent dont le visage même, lorsqu'il devient Two-Faces, porte les deux aspects : ordre et destruction (le choix entre les deux étant décidé par le hasard d'un lancer de pièce). La plus belle idée du film est que l'âme de Harvey Dent (qui est le "visage de Gotham") apparaisse au final comme l'enjeu principal du combat entre ces deux formidables adversaires. Cette logique aboutit à une sorte d'équilibre parfait, une fois Harvey Dent mort, lorsque Batman décide qu'il assumera publiquement les crimes de Two-Faces – et donc, en fait, ceux du Joker – ruinant ainsi le plan de son ennemi au prix de passer pour ce qu'il hait le plus : un criminel.

A la fin du film, difficile de savoir qui a gagné du "héros" ou du "méchant". Ils ne se sont opposés que pour aboutir à un nouvel équilibre.

Batman n'en aura jamais fini avec le Joker.
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