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Articles Par Mois

23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 11:00
Cette nouvelle de Philip K. Dick m'avait profondément marqué à l'adolescence, sans que je sache pourquoi. En la relisant, des années plus tard, je la trouve toujours aussi admirable. Elle décrit à travers les yeux d'un enfant, Foster, un monde où la course au nucléaire et le consumérisme ont fini par se rejoindre : les gens ne se définissent plus seulement – comme dans les années cinquante – par leur voiture ou leur maison, mais par le fait qu'ils possèdent ou non un abri antinucléaire dernier modèle dans leur jardin. Le père de Foster, un antiquaire cultivé et vieux jeu, refuse de rentrer dans le jeu et d'acheter ce qu'il considère comme une arnaque, comme une vente forcée : le consumérisme n'est plus fondé sur le désir mais sur la peur, et il semble le seul à voir à quel point cette fuite en avant nous sépare de ce qui est le plus humain. Foster, lui, victime du discours ambiant, relayé par l'école et les médias, est terrifié à l'idée que dans le cas où une bombe tomberait, il serait incapable de se protéger. Quant à sa mère, elle considère son père comme un raté, ce qui entraine la désintégration du noyau familial (ce qui fait echo en quelque sorte à la menace qui pèse sur eux).

Métaphore intelligente du capitalisme moderne et de la perte de repère d'une société matérialiste, la nouvelle est aussi une transposition très efficace de l'insécurité enfantine face au divorce et à la mésentente parentale. Foster est totalement dépassé par les évènements qui l'entoure, il ne contrôle rien, ne peut rien contrôler, mais subit les choix de ses parents et de la société dans laquelle il vit. Son besoin d'être protégé finit par être compris par son père, mais la suite montrera que la bonne volonté ne suffit pas dans l'Amérique consumériste.

Cette nouvelle, éditée dans de nombreux recueil et anthologie, n'est pourtant pas la plus connue de Philip K. Dick, peut être parce qu'elle n'a pas été adaptée au cinéma, mais elle est une des plus touchante qu'il ait écrite, et montre que son talent d'écrivain ne se limite pas à avoir prophétisé les réalités virtuelles à travers la narration, mais qu'il avait surtout un sens aigu de la construction et de la caractérisation. Cette nouvelle, malgré la fin de la guerre froide, reste toujours aussi pertinente, à notre époque de terrorisme, de communication anxiogène, alors que le consumérisme semble avoir atteint ses limites et provoque un désastre financier qui risque fort de provoquer une nouvelle dépression (en passant, tout le monde parle d'une Crise, mais les journalistes sont ils amnésiques ? j'entends dire que nous sommes dans la Crise depuis mon enfance, c'est à dire la fin des Trente Glorieuses…).

Et la question, essentielle malgré son apparente naïveté, demeure : est-ce vraiment le monde que nous voulons pour nos enfants ?
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14 octobre 2008 2 14 /10 /octobre /2008 11:00

Pourquoi Dorothy M. Johnson (1905 1984) n'est-elle pas plus connue en France ? Seuls deux de ses recueils de nouvelle (Contrée Indienne et La Colline des Potences) ainsi qu'un livre inclassable basé sur sur ses souvenirs de jeunesse (Quand toi et moi étions jeunes Whitefish) sont disponibles dans notre langue. Il s'agit pourtant d'un des plus grands écrivains du XXème siècle. Elle excella dans le western et dans la nouvelle - ce qui est probablement la réponse à notre question.

Contrée Indienne contient parmi les plus belle pages de la littérature. Dorothy Johnson y confronte sans cesse deux brutalités, celle de la civilisation et celle de la sauvagerie, et y démontre que le western fut un genre littéraire de premier plan avant qu'Hollywwod en fasse l'un des genres roi du cinéma. Elle y décrit le Far-West avec honnêteté et sans sentimentalisme, et offre, par son style direct, laconique, et une narration impeccable, des histoires inoubliables aux résonnances riches. La dernière phrase de la nouvelle Et toujours se moquer du Danger cloue ainsi le lecteur sur place, le laissant face à une émotion si puissante qu'elle ne possède pas de nom. Quant à la lecture de L'Homme qui tua Liberty Valence, elle fait paraître le classique de John Ford bien fade et bien démonstratif en comparaison.

Dorothy Johnson avait une idée trop haute de la littérature pour se laisser aller à des virtuosités stylistiques de surface de singe savant, si admirée en France, servant à dissimuler une pauvreté narrative et un absolu manque de vitalité. Le grand art est invisible et Dorothy Johnson avait compris que la littérature utilise les mots pour parler de ce qui est caché derrière les mots. Son style est aussi donc clair, aussi évocateur dans son apparente simplicité, que la construction sans défaut de ses histoires.

Une grande partie partie de l'œuvre de Dorothy Johnson n'a jamais été traduite, et les livres déjà traduits sont devenus quasiment introuvables. Une édition intégrale en français est donc urgente et nécéssaire.

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24 septembre 2008 3 24 /09 /septembre /2008 18:37
Elle a été écrite par le grand Fredric Brown (d'autres tentatives de dépasser sa concision ont été faite mais je les trouve moins bonnes). Elle est assez célèbre et peut-être l'avez vous lue. Plutôt que la résumer ou l'analyser en détail, je pense qu'il doit être possible sans craindre un procès de la citer in-extenso. Bonne lecture !

(Je tiens à préciser que je l'ai traduite moi-même - d'autres traductions sont possibles mais il est difficile de conserver à la fois la concision, les assonances, la fluidité et l'impression d'ensemble, il faut donc choisir. J'ai préféré la fluidité.).


Toc !
par Fredric Brown

Le dernier homme vivant sur Terre était assis, seul dans une pièce.
Soudain, quelqu'un frappa à la porte.
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14 juin 2007 4 14 /06 /juin /2007 19:22
 

Le Riche Gourmet

Un riche gourmet cherchait à remplacer son cuisinier, qui avait pris sa retraite après trente ans de bons et loyaux service. Il fit donc proclamer en place publique qu’il recherchait les meilleurs cordons-bleus du pays, et, quelque temps plus tard, il reçut l’un après l’autre tous les cuisiniers de la région. Il faut savoir que le riche gourmet était un homme difficile et exigeant ; il ne voulait que le meilleur pour lui-même et était prêt à payer un salaire exorbitant au cuisinier qui trouverait grâce à ses yeux. Mais chaque fois qu’il goûtait un plat préparé par l’un des postulants, il trouvait quelque chose à y redire. Que la viande fût cuite quelques secondes de trop, que la sauce comportât le moindre soupçon de grumeau, que les légumes fussent d’un rien choisis trop verts – ou trop mûrs, et il renvoyait le postulant, quelles que fussent ses qualités par ailleurs. Si bien qu’il ne restant bientôt plus personne. En attendant qu’une solution se présente, le riche gourmet devait se contenter de prendre ses repas dans le meilleur restaurant de la ville, renvoyant régulièrement, tout de même, les plats en cuisine lorsqu’ils n’étaient pas à sa totale satisfaction. Il se passa donc de cuisinier privé, jusqu’au mois de son anniversaire où, traditionnellement, il organisait un grand dîner. Les invitations étaient parties, la date approchait, et il n’avait toujours pas de maître queux, car aucun candidat n’osait plus se présenter après qu’il ait renvoyé tant de cordons-bleus réputés.

 

Le matin de son anniversaire, arriva à sa porte un petit cuisinier qui n’avait ni lettre de recommandation ni expérience mais qui lui promit de lui faire la meilleure cuisine de la ville. Le riche gourmet lui posa quelques question sur les manière d’accommoder les sauces ou de faire rôtir la viande et, voyant que le jeune homme connaissait sa partie, il accepta de le prendre à l’essai pour la soirée. Le riche gourmet trembla jusqu’au moment de se mettre à table à l’idée que le petit cuisinier ne fit pas l’affaire.

 

Cependant les invités furent unanimes : ce dîner était le meilleur qu’ils aient jamais mangé. Le riche gourmet lui-même partagea cet avis car, en vérité, ce nouveau cuisinier était bien meilleur que l’ancien. Une fois ses invités partis, il annonça donc au petit cuisinier qu’il le prenait à l’essai pour un mois.

 

À la fin de ce mois, au cours duquel il avait goûté la cuisine la plus délectable et les mets les plus succulents, le riche gourmet décida d’engager le petit cuisinier. Les jours passaient, et jamais le riche gourmet ne se lassait des arômes et des parfums inventés chaque jour par le petit cuisinier. Tant et si bien que le riche gourmet prit la décision de ne plus jamais prendre de repas à l’extérieur car, après de tels agapes, même les meilleures tables de la ville lui paraissaient fades.

 

On remarqua bientôt en ville que le riche gourmet n’invitait plus personne à sa table. En fait, il avait peur que, s’il venait à s’ébruiter qu’il avait engagé un maître queux insurpassable, quelque prince cherchât à le lui ravir.

 


****

Un jour que le riche gourmet félicitait le petit cuisinier pour ses incroyables talents, ce dernier répondit : “Talents ? fi ! Je suis bien meilleur encore. Je suis tellement bon cuisinier que, par ma science, j’arriverais à vous faire avaler un plat si mauvais qu’un affamé le refuserait, et qu’en plus vous me féliciteriez pour ce met.”

 

Le riche gourmet se mit à rire : “Tu es peut-être un bon cuisinier mais tu n’es pas très au fait de la logique et des subtilités du discours. Si ton plat est mauvais, je ne saurais te féliciter pour cela, quel que soit le soin avec lequel tu l’auras préparé.”

 

“Vous avez sûrement raison,” admit le petit cuisinier et il retourna à ses casseroles.

 

Les années passèrent et jamais le riche gourmet n’eut à se plaindre de la qualité et de la variété des repas proposé par le petit cuisinier. Le riche gourmet était de plus en plus seul mais les magnifiques plats du petit cuisinier lui apportaient un tel plaisir qu'il en oubliait de souffrir de sa solitude.

 

Cela faisait maintenant vingt ans que le petit cuisinier travaillait pour le riche gourmet. À présent, ce dernier était devenu bien vieux et ses cheveux avaient blanchis. Après un repas divin, le riche gourmet appela son cuisinier dans la salle à manger pour le féliciter, comme il le faisait sans faillir trois fois par jour. Puis, alors que le petit cuisinier allait se retirer, son maître le rappela : “Il y a longtemps, dit-il, tu m’avais affirmé que tu arriverais à me faire avaler un plat tellement mauvais qu’un affamé le refuserait et qu’en plus je te féliciterais pour cela. N’était-ce qu’une vantardise ou bien était-ce une sorte d'énigme ?”

 

Le petit cuisinier eut un large sourire. “Vous allez voir ! répondit-il. Attendez-moi ici” Et il disparut quelques instant. Quand il revint, il était accompagné d’un vieux mendiant que le riche gourmet connaissait bien, car il prenait toujours garde de l’éviter lorsqu’il marchait dans la rue pour sa promenade digestive quotidienne. Le petit cuisinier fit asseoir le pauvre hère devant la grande table vide et disparut à nouveau. Le riche gourmet se demandait si son cuisinier n’était pas devenu fou.

 

Quelques instant plus tard, le petit cuisinier apportait une assiette emplie d’un plat fumant. Il le montra au vieux gourmet et le lui fit goûter. “Oui, je reconnais ce plat, dit-il, c’est celui-là même que j’ai mangé tout à l’heure et pour lequel je t’ai félicité.” Puis le petit cuisinier se tourna vers le vieux mendiant et lui demanda s’il avait faim.” “Pour sûr, répondit le vieux mendiant, je n’ai point mangé depuis hier.”

 

“Tiens, dit le petit cuisinier, mange donc ce plat.” Le mendiant découpa un morceau viande magnifiquement rôtie et la fit tremper dans l’onctueuse sauce blanche puis il la mit dans sa bouche. Or, à peine avait-il mâché sa bouchée qu’il la recracha : “C’est immangeable, monsieur, cria-t-il, et c’est une honte de faire une farce d’aussi mauvais goût à un homme qui ne mange pas à sa faim. Me présenter ainsi une nourriture qui a si bel aspect mais qui n’est même pas bonne à donner aux chiens, il faut être fou ou fort méchant !”

 

Le riche gourmet n’en croyait pas ses oreilles. À nouveau, il goûta le plat et, à nouveau, il le trouva délicieux. “Ce pauvre hère n’a plus tous ses sens, s’exclama-t-il, ce plat est le meilleur qu’il m’ait été donné de goûter !”

 
“C’est pourtant lui qui a raison, dit le cuisinier, et en ce qui me concerne, pour rien au monde je ne goûterais de ce plat. Car, voyez-vous, depuis cette discussion que nous avons eu, il y a vingt ans, il ne s’est pas passé un repas sans que je rajoute un grain de sel à votre nourriture. Le premier matin j’en ai rajouté un de trop, au déjeuner j’en ai rajouté deux, trois pour le dîner, puis quatre le matin suivant et ainsi de suite. J’en ai aussi rajouté dans votre vin, dans votre eau et jusque dans la pâte à pain. Un grain de sel supplémentaire par repas cela fait trois grains de sel supplémentaire par jour… Votre palais s’est habitué lentement et – puisque vous refusiez de manger une autre cuisine que la mienne – vous ne pouviez pas comparer. A présent, je rajoute une telle quantité de sel à mes plats que nul autre que vous ne peut les aimer. D’ailleurs je ne passe plus guère de temps à les confectionner, je soigne surtout la présentation ; et comment pourriez-vous vous en apercevoir, puisque tout ce sel vous a gâté le palais ?”

 

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8 juin 2007 5 08 /06 /juin /2007 03:58
J'ai écrit cette très courte nouvelle lorsque j'avais seize ans. C'est un des rares textes écrit à cette époque que je peux encore relire sans trop de honte.



Les Héros de la Révolution

 

Jorge avait été torturé. Longtemps. Doucement. Jusqu’à ce que la douleur soit la seule réalité dont il se souvienne et lui semble le seul avenir qu’il aurait jamais. Pourtant il avait conservé sa dignité : il n’avait pas parlé.

 

Ils avaient tout essayé. Ils l’avaient frappé, électrocuté, savamment persécuté, mais il n’avait jamais trahi.

 

Ce matin, ils lui avaient annoncé que Carlos avait tout dit. Pour preuve, ils lui avaient présenté la déposition de Carlos. Et même là, alors que cela ne servait plus à rien, il avait refusé de signer. Il leur avait craché au visage.

 

Et dans le noir, Jorge pensa à la mort. Quand viendrait-elle ? Comment ? Au milieu de ces sombres considérations, il voyait une dernière lueur d’espoir, de réconfort : au moins, il finirait en héros, pur comme un enfant, comme il l’avait toujours souhaité. Quand il était petit, il avait lu et relu avec passion la mort grandiose des martyrs de toutes croyances, idéologies, religions. Et il savait maintenant qu’il serait lui-même vénéré comme l’un d’eux, tel un héros de la révolution. Et du fond de son cachot, alors que tout espoir lui avait été retiré, c’était devenu la seule chose importante pour lui.

 

Il fut pendu au petit matin en même temps que Carlos. Les autorités annoncèrent qu’il était mort glorieusement après avoir dénoncé tous ces camarades tandis que Carlos était resté muet.

 

Jorge fut inhumé dans le petit cimetière militaire, derrière la garnison. Et depuis, pas un paysan n’est passé devant sans oublier d’aller cracher ou uriner sur sa tombe.

 

Carlos fut enterré, solitaire, sur la colline devant la ville. L’endroit devint un lieu de culte et de pèlerinage et, après la révolution, les cendres de Carlos furent transférées au Panthéon.

 

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